Grâce aux jeux du chapitre précédent, vous avez appris les éléments de base de la dialectologie et vous êtes maintenant imbattable sur des concepts fondamentaux tels qu’isoglosse, diasynonyme, vernaculaire, endaïolecte et surtout dialecte.
Vous avez également compris qu’entre endaïolectes (variations dialectales), il peut y avoir deux types de correspondance :
- celles qui sont systématiques, "en bloc", pratiquement sans exception, comme par exemple l'équivalence entre ch dans les parlers français au sud de la ligne Joret (chien, chat, chêne, vache, chaud etc… voir chapitre précédent) et k au nord (chez les Ch’ti : quien, cat, quesne, vaque, caud etc…). C’est aussi le cas des mots rromani sans et avec mutation (voir ci-dessus);
- celles qui ne sont pas systématiques, c’est-à-dire qu'on les trouve dans certains mots mais pas dans d'autres, pour des raisons historiques ou grammaticales comme en français de Sologne pèze, mèze, Pazis mais dirai, mourut ou baron en face de père, mère, Paris, dirai, mourut, baron du français commun. C’est aussi le cas en rromani pour la terminaison verbale de la 1re personne du passé en -om en face de celles en -em (en d’autres termes, cette alternance est systématique dans cette forme concrète du verbe au passé mais pas ailleurs) :
Tableau 1
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superdialecte -om
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superdialecte -em
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phirdǒm, phirdom
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phirdem
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"j’ai marché"
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dikhlǒm, dikhlom
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dikhlem
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"j’ai vu"
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manglǒm, manglom
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manglem
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"j’ai voulu"
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mais
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rrom
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jamais *rrem, mais rrom!
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"époux"
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drom
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jamais *drem, mais drom
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"route"
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mom
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jamais *mem, mais mom
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"cire"
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inversement
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jamais palom, mais palem
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palem
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"à nouveau"
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jamais thom, mais them
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them
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État |
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jamais plom, mais plem
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plem
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"flottaison, nage"
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Dans ces conditions, si une corrélation entre les dialectes est systématique, alors nous écrivons une lettre commune de l'alphabet rromani pour couvrir les deux prononciations et chaque utilisateur prononce comme il est habitué à la maison. Par exemple, la première lettre du mot rromani pour "couteau" s'écrit ćh (v. ci-dessous table 2) et chaque utilisateur prononce selon sa prononciation vernaculaire. De même, la première lettre de "je sais" est écrite en rromani ʒ (v. ci-dessous table 3) et chaque utilisateur la prononce selon ses propres habitudes vernaculaires, comme indiqué dans le tableau ci-dessous, qui est repris du chapitre précédent mais complété, à droite, avec les mots appropriés en écriture rromani commune.
Tableau 2
sans mutation
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avec mutation
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Écriture commune
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comme dans
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a évolué en
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comme dans
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"couteau"
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ćhuri
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comme dans
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a évolué en
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comme dans
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"langue"
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ćhib
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comme dans
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a évolué en
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comme dans
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"garçon rrom, fils"
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ćhavo
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comme dans
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a évolué en
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comme dans
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"ours"
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rićh[ino]
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comme dans
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a évolué en
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comme dans
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"il/elle sait"
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ʒanel
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comme dans
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a évolué en
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comme dans
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"avoine"
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ʒov
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comme dans
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a évolué en
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comme dans
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"honte"
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laʒ
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comme dans
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a évolué en
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comme dans
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"chien"
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ʒukel
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Vous avez comme cela déjà assimilé deux lettres de l'alphabet rromani – à savoir ćh et ʒ avec leurs prononciations dialectales respectives sans et avec mutation, ce qui signifie que vous avez par là même appris le principe de l’orthographe commune : nous écrivons tous de la même manière (ou presque) pour assurer la compréhension la plus facile possible par écrit, alors que chacun d'entre nous lit et prononce comme il a appris des siens à la maison.
Il est très important de prononcer correctement et distinctement les sons ćh et ʒ, que ce soit comme [ćh/chh] et [ʒ/dj] (sans mutation) ou que ce soit comme [ɕ] et [ʑ] (avec mutation) – ce qui est la notation officielle de ces sons doux en alphabet phonétique international (v. chapitre précédent – ils n'ont pas d'équivalent en français), ceci selon le type de dialecte.
Tableau 3
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sans mutation
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avec mutation
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Equivalent français
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IPA
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IPA
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ćh
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tchH
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ʧh
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ɕ
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ʒ
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dj
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ʤ
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ʑ
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Comparez avec des sons qui ne changent pas :
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dans tous les dialectes
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Equivalent français
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IPA
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ś
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ch
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ʧh
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ź
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"j" (de jamais)
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ʒ
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ć
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tch
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ʧ
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Dans un certain nombre de dialectes à mutation, les sons [ɕ] et [ʑ] (pour ćh et ʒ) viennent se confondre avec une autre paire, à savoir ś [ʃ] de chanson et ź [ʒ] de jamais. Il est pourtant très important de bien distinguer d’une part le [ɕ] pour ćh du [ʃ] pour ś et d’autre part le [ʑ] pour ʒ du [ʒ] pour ź. Comme on le voit, le symbole ʒ transcrit autre chose en rromani (c’est une lettre à part entière) et autre chose en Alphabet Phonétique International (il représente le j du français dans jamais, jeudi) et bien entendu il ne faut pas les confondre. En général, ceux qui font la confusion entre les deux paires sont ceux qui ont appris le rromani une fois adultes ou dans les livres, sans que leur oreille soit vraiment habituer a distinguer comme chez les locuteurs héritiers.
Par quel mystère pouvons-nous rendre deux sons différents – comme par exemple tch aspiré et j très doux par une seule lettre ćh ? En effet en rromani ćh est bel et bien une seule lettre. C’est en faait parce que nous avons tous grandi avec une sorte de logiciel libre dans notre cerveau, un cadeau de naissance de Mère Nature, une appli qui filtre les messages que nous entendons. Nos oreilles entendent les sons du message, mais l'appli mentale innée les filtre et notre cerveau reconnaît le mot en question avec le concept qu’il exprime, même si ce mot a été prononcé par un enfant qui n'a pas encore maîtrisé la prononciation correcte, par un vieux édenté ou par toute personne avec une articulation défectueuse, ou parlant avec la bouche pleine, ou bien un étranger avec un accent... d'étranger ou encore par quelqu'un provenant d'une autre région ou, dans le cas du rromani, provenant d'un autre endaj (tribu, clan, groupe) que celui qui écoute. Par conséquent, comme le montre le dessin ci-dessous, grâce à cette appli innée, et quelle que soit la façon dont on prononce le mot «chien», on obtient tous l'image du même animal qui aboie ouah-ouah…, et ne miaule pas miaou miaou – comme vous pouvez le constater en cliquant sur les différentes lèvres sur le côté droit de l’écran...
COMPARAISON ENTRE LES ALPHABETS DU RROMANI ET DU FRANÇAIS
Maintenant que nous avons vu les deux lettres ćh et ʒ, appelées "ambivalentes", jetons un coup d’œil aux autres lettres pour voir celles qui sont communes aux deux langues et celles qui ne le sont pas.
Voyelles simples du rromani
Le rromani ne possède que cinq voyelles de base, comme l’espagnol et l’italien, à savoir a e i o u : la lettre e est lue comme le français é (ou è – la différence entre é et è n’est pas significative en rromani – au contraire du français qui distingue parler de parlait) et u est toujours lu comme ou du français.
[Il existe en outre quelques voyelles d’usage local et qui apparaissent surtout dans des mots empruntés aux langues environnantes, notamment ë et ï – on les rencontre surtout en Roumanie et Moldavie, où ils correspondent respectivement au ă et au î/â du roumain].
Voyelles préyotisées du rromani
À côté des voyelles de base a e i o u, il existe une série parallèle de sons composés ou diphtongues commençant par un y : ya, yé, yi, yo, you. Elles s’écrivent avec un accent inflexe (un circonflexe inversé) : ǎ ě ǐ ǒ ǔ. Ce petit y s’appelle un yot, et les diphtongues en question sont dites "voyelles préyotisées". Le tableau suivant présente les voyelles préyotisées en ordre décroissant de fréquence:
Tableau 4
Voyelle de base
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Voyelle préyotisée
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Équivalent français
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a
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ǎ [très fréquente]
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ya
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o
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ǒ [assez fréquente]
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yé
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i
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ǔ [plutôt rare]
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yi
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e
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ě [pas dans tous les parlers]
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yo
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i
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ǐ [pas dans tous les parlers]
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you
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Les consonnes du rromani
Les consonnes b d f k l m n p t v et z du rromani se prononcent comme en français, tandis que ś, ź, ć et c rendent respectivement les sons français ch comme dans charmant, j comme dans jardin, tch comme dans Tchad et ts comme dans tsigane.
On distingue en rromani entre d’une part le son aspiré h (comme en anglais hi! "salut" ou house "maison" ou le h de l’allemand dans Haus "maison") et d’autre part le son "raclé" dans la gorge x (qui correspond à l’allemand ch dans Achtung ou à la jota espagnole. Comme aucun de ces deux sons n’existe en français, il faut un peu d’exercice pour apprendre à les prononcer. Le h a été introduit, généralement, avec des emprunts de langues européennes, alors que x caractérise le plus souvent les mots hérités des langues asiatiques. Cependant, ce n'est pas une règle absolue, comme le montre le tableau suivant:
Tableau 5
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h
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x
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hakǎrel "il/elle comprend" (asiat.)
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xav "je mange" (asiat.)
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her "aine" (asiat.)
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xer "âne" (asiat.)
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història "histoire" (europ.)
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xiro "concombre" (asiat.)
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hotèli "hôtel" (europ.)
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xor "profond" (asiat.)
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huluv "rideau avant de la tente"
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xuxur "champignon" (asiat.)
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La lettre g est prononcée en règle générale comme en français dans gamin. Toutefois dans certaines régions – notamment en ex-Yougoslavie et pays voisins, cette lettre peut être prononcée dj devant e, i ou les voyelles préyotisées (ǎ, ǒ etc...) – ce changement s’appelle "palatalisation", il existe en roumain et en italien aussi dans la même position et il explique la prononciation dialectale *Djelem djelem du début de l’hymne des Rroms, en fait Gelem gelem [g’elem g’elem]. Les groupes de Rroms qui présentent cette évolution présentent aussi systématiquement l'évolution de k en ć devant e, i ou une voyelle préyotisée (c’est-à-dire dans la même position).
Consonnes apirées
Comme les autres langues indiennes (à savoir celles du nord de l'Inde, du Pakistan et du Bangladesh) mais aussi l’arménien, le rromani a une série d’aspirées ph, kh, th et ćh, où un souffle h suit les sons p, k, t et ć respectivement. Elles sont au nombre de quatre :
- le ćh ambivalent, déjà rencontré plus haut et qui se prononce comme ć suivi d'une aspiration h dans les dialectes sans mutation, c'est-à-dire ch + h – alors qu'en dialecte avec mutation, il est réduit à une sorte de chy, très très doux, comme nous l'avons vu dans le tableau 2 ci-dessus.
- les trois autres lettres aspirées, à savoir th (comme dans thud "lait"), ph (comme dans phuv "terre") et kh (comme dans kham "soleil").
Lorsque nous parlons ou lisons, l'aspiration n’est pas prononcée dans la position finale du mot: nakh "nez" est prononcé simplement [nak], et non pas [nakh], de même l'impératif dikh "regarde" se prononce simplement [dik], et non pas [dikh].
Tableau 6
final
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non final
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dikh "regarde!"
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[dik]
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dikhav "je regarde"
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[dikhav]
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mukh "laisse!"
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[muk]
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mukhel "il/elle laisse"
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[mukhel]
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jakh "œil"
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[jak]
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jakha "yeux"
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[jakha]
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nakh "nez"
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[nak]
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nakha "nez" (pluriel)
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[nakha]
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nakh "passe!"
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[nak]
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nakhav "je passe"
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[nakhav]
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Il est important de prononcer correctement, avec une aspiration audible, les consonnes aspirées de la langue rromani, parce que c'est l'une des particularités qui permettent de reconnaître à l’oreille ceux qui ont appris le rromani comme langue héritée de ceux qui l'ont appris des livres ou dans des cours, en tant que langue étrangère. Écoutez attentivement (en boucle si nécessaire) et répétez les paires suivantes – avec consonne aspirée à l’initiale, tout en imitant le modèle donné:
Tableau 7
P/PH
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perel "il/elle tombe"
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pherel "il/elle emplit"
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pala(l) "derrière"
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phala "planche"
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pak, pek "cuis! rôtis!"
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phak "aile"
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pirda "bronzes"
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phirda/phirdă "il/elle a marché"
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T/TH
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tav "fais la cuisine !"
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thav "fil"
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ternipen "jeunesse"
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terni phen "jeune sœur"
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terdǒl, tordǒl "il/elle est debout"
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therdǒl "avoir, posséder"
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tu "tu"
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thuv "fumée"
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K/KH
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kam "aime!"
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kham "soleil"
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kan "oreille"
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khan "vesse"
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koro "bracelet"
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khoro "cruche"
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kuv "tortue"
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khuv "il/elle 1. tisse; 2. frappe"
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ker "fais! fabrique!"
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kher "1. maisonnette; 2. botte"
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kindo "acheté"
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khindo "fatigué"
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Ć/ĆH
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ćar "herbe"
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ćhar, ućhar "cendre"
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ćam(b) "1. [masc.] couenne; 2. [fem.] chignon (cheveux)"
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ćham "joue (visage)"
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ćući "sein"
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ćhućhi "vide (fém.)"
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ćej, ćeni "boucle d’oreille"
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ćhej, ćhaj "fille"
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ćor "voleur"
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ćhor "1. verse!; 2. barbe"
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Une autre lettre, dont le son existe aussi en français, mais qui s’écrit différemment dans les deux langues, est le j du rromani, qui correspond à y ou ï en français comme dans Yougoslavie et Maya, qui s’écritent donc respectivement Jugoslavìa et Màja en rromani, alors que le mot rromani pour "lapin", à savoir śośoj, rime avec "Hanoï" ou "playboy".
Le son "y" s’écrit j dans les positions suivantes:
- en début du mot: jakh "oeil" se prononce [yak], jalo "frais" [yalo] etc.
- en fin du mot: phabaj "pomme" [pHabaï], muj "bouche" [mouï], talaj "palais (dans la bouche)" [talaï].
- entre voyelles: phabaja "pommes" [pHabaya], śośoja "lapins" [chochoya], muja "bouches" [mouya].
Toutefois, dans d'autres situations (à savoir après une consonne), ce son y s’écrit au moyen de l'accent inflexe : borǎ "jeunes mariées, belles-filles" [borya], ternǒl "devenir jeune, rajeunir" [ternyol]. En fait, au lieu d'être prononcé franchement "y", le son y dans cette position a plutôt tendance à modifier la consonne précédente et c'est la raison pour laquelle il n'est pas simplement écrit j : butǎ peut être prononcé selon le vernaculaire donné [boutya], [boutcha], [boukya], [boutzia] etc... mais l'orthographe commune butǎ englobe toutes ces différentes prononciations locales. Borǎ peut être prononcé [boyra].
Récapitulons :
Tableau 8
après rien (c’est-à-dire en début de mot)
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jakh, jalo
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on écrit avec j
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après une voyelle (quel que soit ce qui suit)
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muja, śośoja
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après une consonne
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borǎ, rromnă
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on écrit avec l’inflexe : (ǎ, ǒ, etc.)
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Dans de nombreuses langues, entre autres en rromani et dans les langues slaves, mais aussi en roumain, il existe un phénomène appelé palatalisation. Si vous avez envie d’en savoir plus sur la palatalisation et ainsi mieux comprendre son mécanisme pour assimiler plus facilement les lois de l'orthographe, vous pouvez consacrer deux minutes à lire l’explication qui suit, en cliquant sur le bouton ci-dessous:
[SUR LA PALATALISATION – voir ci-dessous ]
Sinon, continuez tout simplement.
cacher
Pour comprendre ce qu’est la "palatalisation" (dont le nom vient du latin palatum "palais de la bouche" – talaj en rromani) et son mécanisme, il faut se pencher sur la construction anatomique de la bouche. Les sons sont produits quand le locuteur souffle de l'air hors de ses poumons et que cet air sort par les lèvres, après avoir traversé en longueur le canal créé dans la bouche avec la langue en dessous et le palais au-dessus. Si l'on produit une vibration dans la gorge pendant ce temps, on entendra une voyelle – par exemple [a], [i] ou [ou], comme indiqué dans le schéma ci-dessous:
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soit un [a] comme dans "papa", si la langue est loin du palais (on dit que a est une voyelle ouverte)
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soit un [i] ou un [ou] si la distance entre langue et palais est réduite (on dit que i et u sont des voyelles fermées)
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Contrairement à la prononciation des voyelles, la prononciation des consonnes implique une constriction totale ou partielle du canal buccal pour les produire: ce canal est totalement ou partiellement obstrué pendant une fraction de seconde, que ce soit au niveau des lèvres qui se ferment ou bien à l'intérieur même de la bouche, plus en avant ou plus en arrière, par une mouvement de la langue.
Si la consonne se trouve devant un a (ba, ta, ka, la etc ...), la langue ne joue aucun rôle dans la prononciation, mais si elle précède une voyelle fermées, surtout un i, alors des perturbations se produisent dans la prononciation – on dit que la consonne en question est palatalisée, du fait que la langue atteint le palais.
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Il se produit alors une sorte de confusion entre, d'une part [t + i] ou [d + i], qui sont en principe prononcés au niveau des dents et, d'autre part, [k + i] ou [g + i ], qui sont articulés à l'arrière de la langue. Ceci est valable pour toutes les langues. En conséquence, les mots en gi- et en ge- du latin ont évolué avec la prononciation que nous connaissons aujourd'hui en roumain, italien, occitan, catalan, etc.
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voir plus
En conséquence de cette palatalisation, de nombreux endaïolectes du rromani (mais pas la totalité) la syllabe gi-, qui était à l'origine [gui, g’i] a évolué en [dji]; de même, ki- qui était à l'origine [ki] a évolué en [tchi]. Ceci s’observe surtout en ex-Yougoslavie et en Albanie, mais aussi en Suède et en France (Montreuil, Romainville), où des mots comme gili "chanson", ginel "compter", gero "pauvre, pitoyable" prononcent leur g- initial comme [dj] et parallèlement kinel "acheter", kilo "pieu", kerel "faire" prononcent leur k- initial comme [tch] ou même comme [ts] soit respectivement [tchinel] (d’où le mot chiner en argot), [tchilo] et [tcherel] ou [tsinel], [tsilo] ou [tserel]. En Roumanie, gi- s'est souvent développé de manière particulière en [di], si bien que l’on entend par exemple gili "chanson" prononcé [dili] – bien que dili en rromani signifie "folle". De même, giv "blé", kilo "pieu", kinel "acheter" sont prononcés [diw], [tilo], [tinel]... Malgré tout, la graphie est dans tous les cas avec g et k parce que c'est la forme la plus ancienne, celle qui justifie toutes les autres qui en dérivent (en Inde, nous avons gita "chanson", gohum "blé", kinadi "acheter" – forme médiévale) ; c’est aussi celle qui est la plus répandue au niveau mondial.
En tout état de cause, la prononciation de base k [k], g [g] et kh [kh], éventuellement avec une légère palatalisation (un tout petit son [y]) avant le i ou le e, est vivement recommandée.
On peut observer, à l'inverse, que d se transforme en [g] avant i ou e dans quelques endaïolectes (principalement en Roumanie): par exemple dies, děs "jour", adies, aděs "aujourd’hui" sont là-bas souvent prononcées [g’ess] [ag’ess]... mais la séquence d + i ne se développe pas toujours en [g], puisque des mots comme dikhel "il/elle voit" ou dilo "fou" s'en tiennent à la prononciation originale [dikhel] et [dilo].
Il est important de mémoriser la forme écrite commune afin d'écrire toujours correctement, d'une manière compréhensible pour tous les Rroms – même si votre prononciation locale diffère légèrement de la plus répandue, par exemple, même si on peut librement dire [dili] pour "chanson" ou [ag’ess] pour "aujourd'hui", l'orthographe commune gili et aděs, adies doit rester la norme.
Nous avons mentionné plus haut qu'il y a quatre consonnes aspirées en rromani, à savoir th (comme dans them "État"), ph (comme dans pharo "lourd, difficile"), kh (comme dans khoro "cruche") et ćh (comme dans ćhib "langue" – avec sa prononciation ambivalente avec ou sans mutation).
Devant une voyelle antérieure (i, e) ou pré-yotisée, kh- subit les mêmes changements potentiels (palatalisation) que k- et g- devant ces mêmes voyelles dans les variantes qui présentent un tel phénomène. Cela signifie que les parlers qui palatisent k- en [ć] et g- en [ʒ] devant i ou e vont automatiquement palataliser de la même manière kh- en [ćh] devant ces mêmes voyelles i et e, si bien que des mots comme par exemple khil "beurre", kher "maison" ou khelel "il/elle danse" seront prononcés [ćhil], [ćher] et [ćhelel].
Chaque locuteur peut lire selon sa prononciation familiale, tandis que ceux qui débutent en rromani sont invités à lire littéralement [k + hil], [k + her], [k + helel].
Afin d'éviter la palatalisation des consonnes k, g et kh avant e, de nombreux endaïolectes rroms (principalement en Roumanie) prononcont cette dernière voyelle comme si elle était ë (ă roumain): kërel "il/elle fait", gëro "pauvre, piteux", khëlel "il/elle danse", kher "maison" etc. Les deux points sur ë peuvent être écrits ou non, chacun est libre de les mettre ou non dans sa propre pratique.
Un phénomène similaire de palatalisation se produit avec les consonnes l et n, créant deux sortes de l et deux sortes de n, une variante "sèche" devant a, o et u (comme montré ci-dessous en jaune - resp. [l] et [n]) et une autre "molle, mouillée" devant e, i et voyelle préyotisée (ci-dessous en bleu – à savoir [ly] et [ny]):
Tableau 9
Rromani
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Français
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Rromani
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Français
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la
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la
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nа
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na
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le
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lyé
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ne
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nyé
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li
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lyi
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ni
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nyi
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lo
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lo
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no
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no
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lu
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lou
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nu
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nou
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lǎ
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lya
|
nǎ
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nya
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lǒ
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lyo
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nǒ
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nyo
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lǔ
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lyou
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nǔ
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nyou
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Les consonnes dentales t et d sont aussi souvent palatalisées devant les voyelles préyotisées, de même que devant i et e, mais pas nécessairement dans les mêmes parlers vernaculaires. En conséquence, ils sont prononcés [ti] et [di], [ch] et [dj], [ki] et [gi] ou même [ts] et [dz] (comme par exemple en kalajʒìa vernaculaire). En règle générale, les prononciations [ki] for tˇ et [gi] for dˇ prédominent en Bulgarie et en Macédoine: butǎ "travaux, choses" [boukia] (mais aussi [boutia] [boutcha] [boutsa] ...), godǎ "pensées" [gogia] (mais aussi [godia] [goza] ...), phirdǒm "je marchais" [phirgiom] (mais aussi [phirdiom] [phirzom, phirom] etc ...), butǐ "travail; chose" [bukii ] (mais aussi [butii] [butsi] ...) etc.
DISTINCTION ENTRE LES DEUX TPES DE "R"
Un trait spécifique important de la phonétique et de la phonologie du rromani est l'existence deux types distincts de R : celui qui s’écrit avec r simple et qui se prononce roulé comme en français de Bourgogne, et un autre, écrit avec un double rr, et qui peut être prononcé de diverses manières possibles : soit relativement fort [rrr], soit comme un [ʁ] grasseillé français ou allemand avec la luette qui vibre, ou exactement comme x dans xav, xor, xuxur etc. ou bien encore avec la langue recourbée vers l'arrière du palais etc. Même si la distinction entre r et rr n'est pas évidente pour les oreilles non-rromani, elle est très importante car elle permet de différencier des mots tels que rani "dame", ćorimos/ćoripen "vol, larcin, chapardage" et "haie" de rrani "branche", ćorrimos/ćorripen "pauvreté" et barr "pierre, roc". Il faut donc s'efforcer de les lire et de les prononcer correctement, ce qui n'est pas si difficile. Il est également facile de les distinguer pour les écrire de manière adéquate pour les Rroms qui ont conservé leur prononciation originelle, mais c'est en fait plus difficile pour les débutants en langue rromani. En conséquence, une distinction claire entre les r et rr révèle ceux qui ont appris le rromani comme langue maternelle. Écoutez attentivement et répétez les paires suivantes selon le modèle enregistré que vous pouvez entendre en cliquant sur les flèches :
Tableau 10
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r
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rr
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rani "dame"
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rran "branche"
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rovel "il/elle pleure"
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rroj "cuillère"
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rost "aigu, coupant"
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rrom "mari, épox"
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ćorimos "vol, larcin"
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ćorrimos "pauvreté"
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per "tombe!" (imperative)
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perr "ventre, panes"
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koro "bracelet"
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korro "aveugle"
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bar "haie; jardin"
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barr "pierre, roc"
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LES LETTRES DITES "POSTPOSITIONELLES"
Le dernier point concerne les trois lettres "postpositionelles", à savoir q, θ et ç. Leur usage sera exposé en détails dans la grammaire et il suffit donc ici d'expliquer leur prononciation et leur lecture, ce qui est assez facile, puisque chaque locuteur peut apprendre, intuitivement, en un éclair, leurs prononciations de base. Écoutez attentivement et répétez les mots suivants en fonction du modèle parlé que vous pouvez entendre en cliquant sur les flèches :
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après n
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après tout autre son
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q
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nq = [ng]
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tumenqe "pour vous"
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[k]
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tuqe "pour toi"
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θ
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nθ = [nd]
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tumenθe "chez vous
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[t]
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tuθe "chez toi"
|
ç
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nç = [nţ]
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tumença "avec vous"
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[s, h]
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tuça "avec toi"
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avec d’autres mots
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q
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nq = [ng]
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e ćhavenqe "pour les enfants"
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[k]
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e dadesqe "pour le père"
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θ
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nθ = [nd]
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e phralenθe "chez les frères'"
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[t]
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e gavesθe "au village"
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ç
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nç = [nţ]
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e ruvença "avec les loups"
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[s, h]
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e bakrǎça "avec la brebis"
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Les lettres en question apparaissent dans un très petit nombre de particules, à savoir (-qe, -qo, -qi, [avec variétés locales -qere, -qre, -qoro, -qro, -qero, -qiri, -qri and -qeri], -θe, -θar et -ça[r]), qui sont ajoutés au mot principal, pour lequel elles agissent exactement comme une préposition, à cela près qu’elles viennent après lui.
En plus de l’alternance de prononciation [g / k] selon si elle suit un n ou non, la lettre q peut subir la même palatalisation que k ou g devant une voyelle antérieure (i ou e). Sa présence induit souvent des changements dans les consonnes qui la précèdent, par exemple elle modifie un s la précédant en [h] ou [x]; elle peut également le supprimer totalement. En prenant en compte la palatalisation, les différentes évolutions et changements de -s- ainsi que d'autres changements plus locaux, on peut rencontrer jusqu'à 30 prononciations pour un seul groupe graphique dans lequel entre une lettre postpositionelle. Par exemple, dadesqe "pour [le] père" peut être entendu/prononcé des manières suivantes :
[dadeske], [dadese], [dadesće], [dadeśće], [dadeće], [dadehke], [dadexke], [dadeskë], [dadehkë], [dadexkë], [dadekke], [dadeke], [dadekë], [dadeće], [dadehće], [dadexće] etc...
L’utilisation de l'écriture commune est donc de la plus haute importance pour maintenir une communication écrite facile, laissant bien entendu aux locuteurs une liberté totale pour utiliser leur propre prononciation familiale – car au niveau oral, ce type de différences de prononciation n'entrave pas sérieusement la communication, en raison du filtre inné, de cette appli dont nous avons parlé plus tôt dans ce chapitre.
ACCENT ET SYLLABES ACCENTUÉES EN RROMANI COMMUN
La place de l’accent n’est pas indiquée à l’écrit lorsque celui-ci tombe sur la dernière syllable du mot : ternorro, sumnakaj, mais il est noté au moyen d’un accent grave placé sur la syllable accentuée dans les autres cas : paparùga, pètalo, dilìndile, pàlma.
Si nous avons dans le mot l'une des lettres q, θ et ç, alors l'accent tombe sans exception sur la syllabe qui précède cette lettre – ce que vous pouvez constater en écoutant les exemples enregistrés du tableau précédent. En raison de cette règle systématique, l’accent n'est pas non plus marqué dans l'écriture dans ce cas.